Quand le Tribunal de l’Union Européenne valide des critères sociaux en phase d’analyse des offres

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A l’heure actuelle, la valorisation de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) se fait essentiellement en phase candidature, l’acheteur valorisant la politique du candidat en la matière. Pourtant, le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) en 1ere instance dans une décision « Sophia Group » du 10 février 2021 (T‑578/19) a validé des critères d’analyse des offres portant sur le « Bien-être au travail », la « Diversité/égalité des chances », la « Lutte contre le harcèlement ».

En l’espèce, le Parlement européen avait publié un avis de marché de services d’assistance à la gestion de bâtiments visant notamment à centraliser toutes les demandes et réclamations des occupants de l’ensemble des bâtiments constituant les différents sites du Parlement.

Parmi les critères d’attribution notant la qualité de l’offre figuraient la « Diversité/égalité des chances » pour 3 points, la « Lutte contre le harcèlement » pour 3 points, « l’Inclusion de personnes en situation de handicap » pour 3 points, le « Bien-être au travail » pour 3  points et la « Formation » pour 5 points. Au stade de l’analyse des offres, ces critères sont ainsi assez innovants.

Evincée de la conclusion du marché, la société Sophia Group a saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours tendant notamment à l’annulation de l’attribution du marché et du contrat conclu avec la société attributaire. A l’appui de son recours, la société requérante invoquait trois séries de moyens :

1/ une confusion entre les critères d’analyse des offres (« critères d’attribution ») et les critères d’admission des candidatures (« critères de sélection ») aurait été opérée ;

2/ les critères d’attribution qualitatifs ne seraient pas liés à l’objet du marché en cause ;

3/ les capacités techniques et professionnelles des soumissionnaires n’auraient pas été définies de façon adéquate.

L’ensemble de ces moyens a été écarté par le tribunal. Le juge européen retient ainsi que les critères  concernent les caractéristiques sociales et l’organisation du personnel assigné à l’exécution du marché, en exposant que « par le biais de ces critères, le Parlement a indiqué souhaiter, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de la prise d’une décision de passer un marché sur appel d’offres, prendre en compte la responsabilité sociale et les sensibilités auxquelles les opérateurs économiques, le personnel impliqué dans l’exécution du marché ainsi que le pouvoir adjudicateur doivent faire face ».

De façon pratique, l’interprétation exposée par le juge européen admet ainsi qu’un acheteur public puisse « opter », suivant le contenu du cahier des charges et du règlement de la consultation qu’il aura élaboré, entre l’intégration de certaines de ces considérations au rang des critères d’admission des candidatures ou au rang des critères d’analyse des offres.

Sous réserve d’une confirmation par la Cour de Justice de l’Union Européenne en cas de recours contre cette décision du TUE, une telle position pourrait ainsi être de nature à faire évoluer la jurisprudence du Conseil d’Etat qui, pour l’heure, semble retenir une interprétation plus stricte du lien avec l’objet du marché.

Malgré tout, l’acheteur doit veiller à effectuer une rédaction méticuleuse des documents de la consultation et s’assurer que la sélection ne porte pas sur la « politique générale de l’entreprise » mais bien sur les prestations mises en œuvre pour répondre au besoin défini dans le cahier des charges, au point qu’il apparait quasi-incontournable de les intégrer également comme conditions d’exécution.

De nouvelles perspectives s’ouvrent, la RSE qui semble pouvoir désormais être mieux prise en considération dans les procédures de passation des contrats de la commande publique.

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