L’intérêt général : nouveau critère de recours pour les marchés passés sans publicité ni mise en concurrence préalables
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Le projet de loi ASAP – Projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique – est examiné depuis le 14 septembre arrive (enfin) en Commission à l’Assemblée.
Si le possible relèvement des seuils de 40 000 € HT à 100 000 € HT fait grand bruit au sein des acteurs de la commande publique et notamment de certaines fédérations, on en oublierait presque l’adoption le 17 septembre de l’amendement n° 652 présenté par le gouvernement.
Trois évolutions sont prévues :
– le recours obligatoire aux PME pour certains contrats globaux ;
– une protection pour les soumissionnaires en redressement judiciaire ;
– la possibilité de recourir aux marchés sans publicité ni mise en concurrence pour motif d’intérêt général.
C’est ce dernier point qui retiendra tout particulièrement notre attention. En effet, jusque-là cantonné à certaines hypothèses, le recours à ce type de procédure restait strictement encadré par les articles R. 2122-1 à -9 du Code de la Commande Publique. On peut citer notamment l’infructuosité d’une première procédure, l’urgence particulière, les prestations similaires, la procédure suite à un jury de concours.
Le gouvernement justifie ce nouveau cas d’ouverture afin de « simplifier la conclusion de certains marchés, notamment dans des secteurs confrontés à des difficultés économiques importantes ou constituant des vecteurs essentiels de la relance économique, la mesure proposée vise à ajouter l’intérêt général comme cas de recours possible à un marché passé sans publicité ni mise en concurrence. Il devrait notamment permettre de renforcer le tissu économique des territoires en facilitant la conclusion des marchés avec des PME qui n’ont souvent pas les moyens techniques et humains pour s’engager dans une mise en concurrence. »
Si cet amendement est adopté en lecture définitive, il n’en demeure pas moins que le Gouvernement et le Parlement ouvrent la boîte de Pandore car chacun a sa « propre » définition de l’intérêt général surtout si cela permet de recourir à une procédure sans publicité ni mise en concurrence préalable.
Il apparait nécessaire à ce stade de rappeler que l’intérêt général est inhérent au droit de l’Union (source du droit national de la commande publique). Aussi, la jurisprudence européenne a toujours consacré l’activité répondant à un besoin d’intérêt général comme un des trois critères d’identification d’un organisme de droit public.
Cependant, si la Cour reconnaît l’activité d’intérêt général, elle énonce, selon une jurisprudence constante et pour le moins pragmatique, que le fait d’agir dans un but d’intérêt général ne suffit pas en soi pour qu’une activité soit qualifiée d’activité participant directement et spécifiquement de l’exercice de l’autorité publique. Partant, le juge européen analyse au cas par cas l’activité d’intérêt général en fonction des circonstances
Il appartiendra donc au juge administratif en premier lieu, si cet amendement est adopté de (re)définir les contours de la notion d’intérêt général dont, selon le Professeur Tropeur, le contenu reste « indéfinissable ». Sans nul doute que l’office du juge administratif aura encore de beaux jours devant lui.
Pour conclure, il apparaît pertinent de rappeler que l’intérêt général reste et restera toujours un enjeu, un curseur d’action des politiques publiques visant à structurer l’action politique notamment en temps de crise.
Pour aller plus loin :
CJUE, 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria AG s.a, aff. C-44/96, cons. 21 et 39
CJUE, 24 mai 2011, Commission, soutenue par le Royaume-Uni, c. France, C-50/08